Gerhard Krinner : “Un réchauffement de +3 °C, c’est encore trop “

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Contributeur aux deux derniers rapports du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), Gerhard Krinner a aussi été coordinateur de section dans le dernier. Un hybride, à la fois homme de sciences et de conviction. Directeur de recherche au CNRS à Grenoble, expert en physique théorique, spécialiste du climat : voilà pour le scientifique. Une volonté d’affronter le réel, de privilégier l’action, de transcender les dogmes, d’annoncer l’effort, pour pouvoir léguer aux générations futures un monde vivable : voilà pour le membre du Giec.

Bien que d’origine allemande, vous avez réalisé toute votre carrière scientifique à Grenoble, racontez-nous…

G.K. J’ai grandi dans un village non loin de Munich où j’ai entamé des études de physique générale. Mais au bout de la troisième année, j’avais envie de partir à l’étranger, de randonner en montagne et de faire de l’alpinisme. C’est pour cela que je suis venu à Grenoble, aussi pour apprendre le français. Je me suis alors inscrit en géophysique et c’est dans ce cadre que j’ai réalisé un stage passionnant en cristallographie au Laboratoire de glaciologie et de géophysique de l’environnement (LGGE), où j’ai côtoyé des chercheurs qui travaillaient sur les régions polaires, en particulier en Antarctique, sur les carottes de glace. C’était l’un de mes rêves d’enfance, d’être un héros polaire ! J’ai ensuite eu la possibilité de faire une thèse sur la modélisation du climat polaire au LGGE, devenu depuis l’Institut des géosciences de l’environnement (IGE). Et comme je suis plutôt théoricien, la modélisation, cela m’allait très bien. C’est ainsi que, de fil en aiguille, je suis entré au CNRS, et que je suis devenu climatologue à l’IGE.

Qu’est-ce qui vous passionne dans l’étude du climat ?

G.K. Le changement climatique, c’est certes de la pure physique mais les nuages, on peut les voir, les précipitations et la neige aussi, c’est concret. Et puis j’aime la montagne et la nature. C’est pour cela que j’ai choisi d’étudier le climat et plus précisément de le modéliser en vue de pouvoir prédire, par exemple, le climat moyen du mois de juillet en 2050, en France. Cela paraît trivial mais c’est en fait très complexe.

Les modèles d’aujourd’hui sont plus précis. Sont-ils aussi plus justes ?

G.K. Il faut le dire, les projections climatiques présentées dans les premiers rapports du Giec, qui datent de 1990, se sont révélées justes ! Ainsi, trente ans plus tard, on constate que le réchauffement a été prédit assez exactement. L’essentiel était donc déjà là.

Le réchauffement climatique aujourd’hui constaté, menace-t-il pour autant notre survie ?

G.K. Vous n’allez pas sortir de votre maison et à cause du réchauffement climatique, tout d’un coup, mourir. Le réchauffement climatique se manifeste par une augmentation régulière des événements extrêmes telle que notre groupe de travail du Giec l’a précisément documentée dans les 5e et 6e rapports. L’humanité va essayer de s’habituer, et de s’en sortir. Il va y avoir, par exemple, de plus en plus de problèmes d’agriculture.
Donc l’État va de nouveau apporter des aides d’urgence aux agriculteurs. C’est autant d’argent qui ne va plus aller dans les écoles, dans le système de santé et, au bout du compte, moins de moyens seront disponibles pour les politiques de long terme. C’est là tout le problème.

Alors que faire ?

G.K. Les émissions du passé nous ont conduit au réchauffement actuel. Toutes les émissions à venir vont déterminer le réchauffement futur. Bien que nous émettions aujourd’hui beaucoup plus de gaz à effet de serre qu’il y a trente ans, par rapport à ce qu’on pouvait craindre à l’époque, on observe aujourd’hui un petit tassement, parce que des efforts sont réalisés. Ainsi, d’un réchauffement de + 5 °C à l’horizon 2100, nous tablons plutôt aujourd’hui, avec les engagements des États lors des Conférences des parties (COP) ainsi que les politiques déjà engagées, sur un réchauffement de + 3 °C en 2100. Cela reste beaucoup trop.
Certains secteurs tels que l’industrie et le bâtiment ont bien réduit leurs émissions, mais pas l’agriculture, ni le transport. Il y a de plus en plus de transits de marchandises par camions, au lieu de privilégier le rail. Cela étant, pour terminer sur une note optimiste, grâce à certains progrès réalisés, les énergies renouvelables sont aujourd’hui en grande partie moins chères que les fossiles, de quoi faciliter
la transition.

Comment expliquez-vous notre réaction tardive ?

G.K. Il y a eu beaucoup de désinformation financée par le lobby des pétroliers et répandue par les climato-réalistes, mais c’est aussi par manque de justice sociale.
Il faut travailler sur l’acceptabilité des mesures à prendre et leur compensation.
On l’a bien vu avec la crise des « gilets jaunes ». Si vous augmentez les impôts sur le gasoil, sur le pétrole, sur le fioul, sur l’essence, sans mesures de compensation, sans aider ceux qui ne peuvent pas immédiatement s’acheter une voiture électrique, vous allez dans le mur.

Vous vous êtes rendu deux fois en Antarctique pour étudier la glace. Que retenez-vous d’autre de vos expéditions ?

G.K. Au centre de l’Antarctique, il n’y a pas de vie sur 1 000 km à la ronde, mais c’est assez agréable d’y séjourner parce qu’il y a toujours du soleil, peu de vent. Il y fait – 30 °C l’été mais le climat y est très sec, aussi sec qu’au Sahara !

La glace fond. Perdons-nous l’histoire climatique de la Terre ?

G.K. Au centre de l’Antarctique, la glace est encore préservée du réchauffement climatique mais,
dans les Alpes, mes collègues ont anticipé en réalisant des « forages patrimoines » pour prélever des carottes de glace qu’ils stockent dans des chambres froides, en vue de mesures futures quand les moyens d’analyse seront plus développés.

Bio express

1968 : naissance à Munich (Allemagne).

1989-1992 : études de physique générale à l’Université de technologie de Munich.

1993-1997 : études de géophysique, puis doctorat en physique à l’Université Joseph Fourier à Grenoble.

1998-1999 : post-doctorat au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) à Saclay.

Depuis 1999 : chercheur du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à l’Institut des géosciences de l’environnement (IGE).

2010-2013 : auteur du 5e rapport du Giec publié en 2013.

2018-2023 : auteur du 6e rapport du Giec, coordinateur de sections du résumé technique du groupe de travail 1 (publié en 2021) et du rapport de synthèse (publié en 2023).

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